Conte traditionnel du Cantal…

Un couple de paysans avait deux enfants, Antoine et Pipète. Au seuil de l’été, les parents dirent à leur fils aîné d’aller se louer jusqu’au printemps prochain chez un fermier, comme valet.
Antoine obéit et se présenta chez un méchant maître. Celui-ci l’engagea en le prévenant :
- Le premier de nous deux qui se plaindra de l’autre, eh bien, l’autre aura le droit de lui couper une bande de peau de son dos, large de trois doigts…
Antoine ne put qu’approuver. Le maître le traita mal, et, à la moindre plainte du garçon, il menaçait de lui couper la peau.
Au bout de quinze jours, Antoine n’en pouvait plus : le fermier l’obligeait à travailler pire qu’un mulet, presque sans le nourrir. Il finit par protester devant cette trop grande injustice. Comme promis, le maître lui écorcha la peau et le renvoya chez lui. Voyant cela, Pipète se révolta :
- Je vais prendre ta place, dit-il.
Le méchant fermier avait besoin d’un valet, il accepta Pipète, non sans l’avoir averti, comme auparavant son frère :
- Le premier qui se plaindra aura la peau coupée…
- Je suis d’accord, répondit tranquillement le garçon.
- Tope-là. Ton temps s’achèvera lorsque le coucou chantera.
- Très bien.
Le maître l’envoya aussitôt travailler aux champs. D’habitude, il donnait à son valet un oeuf dur, lui disant qu’il pouvait emporter autant de pain qu’il pourrait en frotter avec l’oeuf. L’oeuf, bien entendu, s’émiettait tout de suite, et le valet n’emportait donc qu’une mince tranche pour toute nourriture.
Cette fois, avant que le fermier ne lui donne l’oeuf dur, Pipète en saisit un autre, mais frais, celui-là. Ainsi, en s’aidant d’une plume, il put frotter la miche tout entière, qu’il mit dans son sac. Le fermier roulait des yeux furieux :
- Vous avez à vous plaindre de moi ? demanda Pipète.
En même temps, il sortait un couteau de sa poche.
- Non, non, répondit le fermier.
Mais il résolut d’avoir sa revanche tout de suite. C’est pourquoi il ajouta :
- Tu emmènes le chien, et tu ne cesseras ton travail que lorsqu’il voudra revenir à la ferme.
- D’accord, dit Pipète.
Le fermier savait que le chien ne revenait jamais des champs avant la nuit tombée. Pipète s’en doutait lui aussi. Voilà pourquoi, après avoir labouré jusqu’à onze heures du matin, lorsque le soleil se mit à chauffer trop fort, il attrapa la bête.
- Pardonne-moi, dit-il, je ne peux faire autrement.
Il pinça la queue du chien dans la charrue, juste assez pour que l’animal, après un hurlement, se sauve, reprenant le chemin de la ferme. Pipète le suivit.
Le voyant rentrer si tôt, le fermier s’exclama.
- Je n’ai fait que suivre vos instructions, dit Pipète. Vous avez à vous plaindre de quelque chose ?
- Non, non, répondit le fermier pour la deuxième fois.
Le soir, il réfléchit longtemps, comprenant qu’il avait affaire à forte partie.
« Il faut que je lui invente une tache impossible, se dit-il. Ainsi, je lui écorcherai le dos, cela le rendra plus docile. »
Le lendemain matin, il pensait avoir trouvé :
Garçon, commanda-t-il, va mener les boeufs au pré. Seulement, je te défends de les faire entrer par la porte, ni de traverser la haie.
- Pas de problème.
Pipète mena les boeufs jusqu’au pré. Pour obéir à son maître, il tua les bêtes, les coupa en morceaux, et jeta les morceaux dans le pré par-dessus la clôture. Ainsi n’avait-il touché ni à la porte, ni à la haie elle-même.
- Comment as-tu fait ? gronda le fermier lorsqu’il fut de retour.
- Allez voir.
Le fermier y courut, s’arracha les cheveux en voyant le spectacle, ses bêtes mortes…
- Vous n’êtes pas content ? Vous avez à vous plaindre de quelque chose ? demanda à nouveau Pipète, son couteau à la main.
- Non, non… s’étrangla le fermier.
Il reprit pourtant aussitôt ses esprits, et décida d’envoyer le valet faire paître son troupeau de cochons dans le bois où le diable en personne avait élu domicile.
« Ainsi, je suis sûr de ne jamais le revoir… »
Pipète s’en alla donc vers le bois, poussant le troupeau devant lui. En chemin, il croisa une bergère et lui acheta un fromage. Un braconnier lui donna une perdrix vivante, et une femme qui revenait du marché lui céda une grosse pelote de fil.
Après cela, il arriva au bois du diable, où il s’installa sans crainte, tandis que ses cochons se mettaient à manger des glands de chênes.
Seulement, après cinq minutes, le diable parut, monsieur Ropotou, agité par une violente colère :
- Que fais-tu chez moi, petit valet hurla-t-il ; on n’a pas le droit !
- J’obéis à mon maître.
- Va-t’en tout de suite, ou bien gare ! Regarde.
Le diable saisit une grosse pierre qu’il jeta au sol avec force. La pierre se brisa en morceaux. Sans se laisser impressionner, Pipète attrapa le fromage qu’il venait d’acheter. À son tour de jeter le fromage au sol, où il s’écrasa. Monsieur Ropotou ne put retenir un hoquet de surprise. Il ramassa pourtant un deuxième caillou, le lança dans les airs de toutes ses forces. Pipète vit le caillou retomber à un kilomètre de là !
- À mon tour, dit-il.
À la place du caillou, il jeta la perdrix du braconnier. L’oiseau fila comme une flèche et se perdit dans le ciel. Le diable se gratta la tête devant l’exploit, mais sans vouloir encore s’avouer vaincu.
- On va voir qui de nous deux peut ramasser le plus gros fagot.
Il se précipita, rassembla en un tour de main une immense brassée de bois, que dix tombereaux auraient eu du mal à contenir.
- Seulement ça, dit Pipète avec un air de moquerie. A moi.
Il prit sa pelote de fil, noua l’extrémité au bas d’un arbre, et fit mine d’en entourer un deuxième, puis un autre encore.
- Hééé ! s’exclama monsieur Ropotou, que fais-tu là ?
- Mon fagot, tiens donc.
Le diable eut soudain peur que le valet ne lui déracine son bois tout entier !
- Arrête ! cria-t-il, tu as gagné. Je te laisse tranquille, toi et tes porcins.
Et il s’en alla.
Le soir, Pipète rentra à la ferme en sifflotant, son travail accompli.
Le maître ne put fermer l’oeil de la nuit, cherchant un nouveau moyen pour se débarrasser de ce domestique trop malin pour lui. Sa femme proposa :
- Je sais comment faire : au matin, badigeonnée de miel et couverte de plumes, je monterai sur un arbre, et je chanterai comme chante le coucou. Le valet croira que le printemps est arrivé et que le temps est venu pour lui de s’en aller.
- On peut toujours essayer, dit le maître.
À l’aube, Pipète entendit le chant du coucou. Il descendit dans le jardin, son fusil à la main. Au premier coup tiré, la femme du fermier dégringola de l’arbre, raide morte.
Le mari accourut, leva les bras au ciel.
- Malheureux ! Qu’as-tu fait là ?
- Tiens donc, on dirait que vous n’êtes pas content !
- Ça non, je ne suis pas content !
Pipète ne se fit pas répéter deux fois la chose. Il sortit son couteau et découpa aussitôt une bande de peau large de trois doigts sur le dos de son mauvais maître.
Ainsi vengea-t-il son frère, avant de retourner à la maison.

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